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Don José, monstre ou martyr ? Retour sur un Carmen au Festival du Toûno

Don José, monstre ou martyr ? Retour sur un Carmen au Festival du Toûno

Xavier Flabat
9 août 2023
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Il y a des rôles qui vous habitent longtemps après que le rideau est tombé. Don José est de ceux-là. En août 2023, j'ai eu la chance de retrouver ce personnage complexe et fascinant dans un cadre absolument unique : le Festival du Toûno, niché au cœur des Alpes suisses. Monter Carmen, ce monument de l'opéra, dans l'intimité d'une église à Vissoie, relevait de ce que le directeur du festival, Claude Darbellay, appelait lui-même une "petite folie". Une folie que j'ai été ravi de partager.

Incarner la Chute d'un Homme

Don José n'est pas un monstre né. C'est peut-être ce qui le rend si terrifiant et si poignant. Au début de l'opéra, c'est un soldat ordinaire, un homme simple, presque naïf, attaché à sa mère et à son devoir, symbolisé par la pure Micaëla. Puis vient Carmen. Elle est une force de la nature, un tourbillon de liberté et de désir qui pulvérise toutes ses certitudes. À son contact, Don José entame une lente et tragique descente aux enfers. L'amour devient obsession, la jalousie le ronge, et l'homme d'honneur se transforme en paria, en déserteur, puis en meurtrier.

Pour un ténor, c'est un voyage émotionnel et vocal d'une intensité rare. Il faut pouvoir incarner la droiture initiale, la passion dévorante, le désespoir abject et la rage finale. Chaque acte est une nouvelle étape de sa déchéance. Rejouer ce rôle est toujours une expérience forte, car il nous confronte à la fragilité de l'âme humaine et à la puissance destructrice d'une passion qui échappe à toute raison.

"Ce n'est pas bien ce que vous faites... À vous regarder jouer, on a de la compassion pour Don José."

— Une spectatrice après la représentation

Le plus troublant des compliments

C'est à l'issue d'une de ces représentations intenses, aux côtés de la magnifique Carmen d'Eugénie Joneau, qu'une spectatrice s'est approchée de moi. L'air grave, elle m'a dit : "Monsieur, ce que vous faites, ce n'est pas bien."

Surpris, je me suis préparé à défendre l'œuvre. Je pensais qu'elle était choquée par la violence de la scène finale, par ce féminicide qui conclut l'opéra. J'ai commencé à argumenter, à parler du livret, de la détresse psychologique de Don José, de la manière dont sa passion le consume jusqu'à l'irréparable... Elle m'a doucement interrompu.

"Non, vous ne comprenez pas," m'a-t-elle dit. "Ce n'est pas bien, parce qu'à vous regarder jouer, on a de la compassion pour Don José..."

Je suis resté sans voix. C'était sans doute le plus beau et le plus troublant des compliments. Elle avait parfaitement saisi l'essence de mon travail sur ce rôle : montrer l'homme derrière le monstre. Montrer que ce meurtrier est avant tout un homme brisé, un être qui a tout perdu par amour et qui, dans son geste final, signe sa propre destruction autant que celle de Carmen. Le fait qu'une spectatrice ressente de la pitié pour lui, malgré l'horreur de son acte, était la plus belle des validations. Cela signifiait que la complexité du personnage avait été transmise.

Une "petite folie" mémorable

Cette production restera un souvenir impérissable. L'énergie de toute la distribution, d'Eugénie Joneau en Carmen à l'imposant et superbe Escamillo de Jean-Fernand Setti, et la direction inspirée de Benoît Willman ont créé une alchimie parfaite. Jouer dans la proximité qu'offrait l'église de Vissoie a décuplé l'intensité dramatique. Le public ne regardait pas Carmen, il le vivait avec nous. Et c'est dans ces moments de partage intense que l'opéra révèle toute sa puissance.